
Au petit matin du 16 octobre 1946, dans la pénombre de la chambre d’exécution de la prison de Nuremberg, en Allemagne, Ernst Kaltenbrunner, l’un des plus tristement célèbres chefs du régime nazi, monta sur l’échafaud avec un calme glaçant. Du haut de ses 1,90 mètre, le visage émacié marqué par les duels scolaires, et d’une voix grave et profonde, il n’opposa aucune résistance. Invité à prononcer ses dernières paroles, Kaltenbrunner murmura en allemand : « J’ai aimé le peuple allemand et ma patrie de tout mon cœur. J’ai accompli mon devoir conformément aux lois de mon peuple, et je regrette que, cette fois, mon peuple ait été dirigé par des non-soldats, et que des crimes aient été commis à mon insu. » Tandis que la cagoule noire se rabattait sur sa tête, il murmura : « Allemagne, bonne chance. » Quelques secondes plus tard, la trappe s’ouvrit et son corps imposant plongea, mettant fin à une vie directement liée à la mort de millions de personnes durant l’Holocauste. Ces murmures, chargés de mensonges et de déni de responsabilité, sont devenus le symbole de l’aveuglement de ceux qui ont mis en œuvre la « Solution finale », le chapitre le plus sombre de l’histoire de l’humanité.

Ernst Kaltenbrunner naquit le 4 octobre 1903 à Ried im Innkreis, en Autriche, au sein d’une famille d’avocats imprégnée de nationalisme exacerbé. Il grandit près de Braunau, ville natale d’Adolf Hitler, et s’imprégna dès son plus jeune âge de l’idéologie pangermaniste völkisch, marquée par l’antisémitisme et assimilant les conflits politiques à des guerres raciales. Durant son enfance, Kaltenbrunner se lia d’amitié avec Adolf Eichmann, futur « architecte » de la logistique de l’Holocauste. Après avoir obtenu son baccalauréat au Realgymnasium de Linz en 1921, il étudia la chimie à l’université de Graz, avant de se tourner vers le droit en 1923. Il rejoignit alors des associations étudiantes nationalistes, protestant contre le marxisme et l’influence de l’Église. En 1926, il obtint son doctorat en droit et ouvrit un cabinet d’avocat à Linz. Son visage constellé de cicatrices – dues à des duels d’escrime ou à un accident de voiture – accentuait son aspect intimidant, rendant même Heinrich Himmler méfiant.

En 1929, Kaltenbrunner adhère à la Heimwehr, une organisation paramilitaire antimarxiste, et en 1930, il rejoint officiellement le parti nazi (numéro de membre 300 179). En 1931, sur la recommandation de Sepp Dietrich, il intègre la SS (numéro 13 039) et devient rapidement conseiller juridique de la SA et de la SS en Autriche. Malgré deux arrestations par le gouvernement autrichien d’Engelbert Dollfuss pour complot de coup d’État (1934 et 1935), Kaltenbrunner met secrètement en place un réseau de renseignement SS en Autriche, fournissant des informations à Himmler, Reinhard Heydrich et Heinz Jost. Himmler, le considérant comme son bras droit en Autriche, le maintient en poste pour renforcer la SS locale et, en 1937, le nomme commandant de l’ensemble de la SS autrichienne. Ses voyages clandestins en Bavière, au cours desquels il fait passer en contrebande des photocopies de documents relatifs à la politique étrangère autrichienne, font de lui une figure de confiance au sein de la direction nazie.
L’effondrement de l’Autriche survint rapidement après l’Anschluss en 1938. Kaltenbrunner aida Arthur Seyss-Inquart à annexer l’Autriche au Troisième Reich et fut nommé secrétaire d’État à la Sécurité publique du 11 au 13 mars 1938. Il supervisa la nazification de la société autrichienne, établissant le camp de concentration de Mauthausen-Gusen – le premier camp nazi en Autriche – et fut promu SS-Gruppenführer (équivalent de lieutenant-général). Dès 1940, il était chef de la police de Vienne et mit en place un vaste réseau de renseignement, attirant l’attention d’Himmler. Après l’assassinat de Heydrich en 1942, Himmler dirigea temporairement le RSHA (Office central de la sécurité du Reich) avant de nommer Kaltenbrunner à sa tête le 30 janvier 1943 – un choix surprenant de la part d’Hitler, qui le considérait comme un « nouveau venu docile » comparé à des candidats tels que Heinrich Müller ou Walter Schellenberg.

Sous la direction de Kaltenbrunner, le RSHA devint une machine à tuer colossale, unifiant la Gestapo (police secrète d’État), la Kripo (police criminelle) et le SD (service de sécurité). Il supervisa des campagnes de répression, des arrestations, des déportations et des exécutions à travers l’Europe, tout en commandant les Einsatzgruppen, des escadrons mobiles de la mort responsables de plus d’un million de morts, principalement des Juifs, à l’Est. Antisémite fervent, Kaltenbrunner fut directement impliqué dans la « Solution finale ». Il participa à une réunion en décembre 1940 avec Hitler, Himmler, Heydrich et Joseph Goebbels, au cours de laquelle il fut décidé de gazer tous les Juifs inaptes aux travaux forcés. En 1943, il fit pression sur le ministère de la Justice pour imposer la castration obligatoire des homosexuels, examinant 6 000 cas militaires. Lors d’une inspection de Mauthausen en 1943, il assista à la « démonstration » des méthodes d’exécution de 15 prisonniers fusillés, pendus et gazés, puis inspecta les crématoires et la carrière.
Le rôle de Kaltenbrunner dans l’Holocauste atteignit son apogée en 1944. Au château de Klessheim, il contribua à contraindre l’amiral hongrois Miklós Horthy à collaborer avec les nazis, permettant ainsi à Eichmann de déporter 750 000 Juifs hongrois à Auschwitz à l’aide d’un Einsatzkommando. En octobre 1943, il ordonna à Herbert Kappler, à Rome, que l’extermination des Juifs italiens soit une « priorité absolue pour la sécurité générale », ce qui entraîna la rafle et le transport de 1 000 Juifs romains à Auschwitz en seulement quatre jours. Il signa des ordres accélérant le génocide, la liquidation des zones juives dans le Reich et les territoires occupés, et reçut des rapports réguliers sur le fonctionnement des camps. Kaltenbrunner étendit également son influence en succédant à Heydrich à la présidence d’Interpol de 1943 à 1945, utilisant cette fonction pour traquer les Juifs et ses opposants politiques. Sa relation avec Himmler mêlait loyauté et crainte : Himmler l’avait nommé, mais le tempérament explosif de Kaltenbrunner aurait même intimidé Himmler. En 1945, Himmler lui confia le commandement des forces du sud de l’Allemagne.

Alors que la guerre s’effondrait, Kaltenbrunner s’accrochait au pouvoir. Après l’attentat du 20 juillet 1944 contre Hitler, il enquêta et fit pression pour l’exécution d’environ 5 000 suspects. En février 1945, il ordonna à la police d’abattre les « traîtres » sans procès. Mais en avril 1945, il s’enfuit de Berlin pour se réfugier dans le massif du Totes Gebirge, près d’Altaussee, en Autriche. Le 12 mai, il fut capturé par l’unité 80 du Corps de contre-espionnage de l’armée américaine après qu’un témoin l’eut identifié malgré son alias de médecin.
Au Tribunal militaire international de Nuremberg, Kaltenbrunner fut accusé de complot en vue de commettre des crimes contre la paix, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Initialement absent en raison d’une hémorragie cérébrale, il nia toute responsabilité lors de sa comparution : affirmant que les signatures sur les ordres d’extermination avaient été falsifiées par ses collaborateurs, que son rôle se limitait au renseignement et qu’il « n’avait rien su de la Solution finale avant 1943 », allant même jusqu’à « s’opposer aux mauvais traitements infligés aux Juifs » et à « y mettre fin ». Ces arguments provoquèrent des rires dans la salle d’audience ; le témoin Hans Bernd Gisevius le qualifia de « pire que le monstre Heydrich ». Le 30 septembre 1946, le tribunal l’acquitta des crimes contre la paix mais le reconnut coupable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, et le condamna à mort par pendaison.
Le matin du 16 octobre 1946, Kaltenbrunner fut le septième à entrer dans la chambre d’exécution. Vêtu d’un manteau bleu, il répondit d’une voix faible à son nom. Ses derniers mots – un murmure délirant d’« amour pour l’Allemagne » – ne purent masquer sa responsabilité directe dans la destruction de millions de vies. Son corps fut incinéré au cimetière oriental de Munich, et ses cendres dispersées dans l’Isar. Aujourd’hui, Kaltenbrunner demeure un symbole de la cruauté systématique : cet avocat qui avait jadis promis la protection juridique aux SA/SS est devenu l’architecte de l’enfer. Ce murmure sur l’échafaud n’était pas un aveu, mais un rappel éternel du prix du nationalisme extrême et du silence face à l’atrocité.